Après la décision du Conseil constitutionnel sur la rétention de sûreté, qu'attendez-vous du premier président de la Cour de cassation, Vincent Lamanda ?
Rachida Dati : Le Conseil constitutionnel a distingué dans sa décision deux cas de figure : les criminels dangereux qui seront condamnés pour des faits commis après l'entrée en vigueur de la loi et ceux condamnés pour des faits commis avant. Dans le premier cas, la rétention de sûreté pourra être prononcée directement si ces criminels sont toujours considérés comme dangereux à la fin de leur peine. Dans le deuxième cas, la rétention de sûreté ne pourra s'appliquer que si ces criminels manifestent leur dangerosité en violant les obligations qui pourront leur être imposées après la fin de leur peine, comme le port du bracelet électronique. C'est cette différence de traitement qui inquiète les Français parce qu'ils veulent être sûrs que les criminels dangereux qui sortiront de prison dans les prochaines années seront effectivement empêchés de récidiver. Ce que nous attendons de M. Lamanda, c'est qu'il nous fasse des propositions pour protéger nos concitoyens.
N'est ce pas une manière de contourner la décision contraignante ?
La décision du Conseil constitutionnel s'impose à tous. C'est ce qu'a rappelé Nicolas Sarkozy dans la lettre de mission adressée à M. Lamanda. Mais ma responsabilité en tant que garde des sceaux, c'est de protéger nos concitoyens. Il faut avoir les moyens de protéger les Français contre des criminels dangereux dont on sait qu'ils vont probablement repasser à l'acte. C'est aussi cela, le principe de précaution.
Cela peut paraître choquant qu'on enferme des gens au nom du potentiel danger qu'ils représentent…
La rétention de sûreté existe depuis longtemps dans d'autres pays. Je pense à l'Allemagne, aux Pays-Bas ou à la Belgique. Nous avons déjà en France des mesures de sûreté fondées sur la dangerosité de certaines personnes, telle que la surveillance judiciaire. En prison, on ne peut pas forcer quelqu'un à se soigner. Je vous rappelle que Francis Evrard [accusé du viol du petit Ennis en août 2007] a refusé les soins. Avant sa sortie de prison, trois experts avaient conclu à sa dangerosité. C'est cela aussi qui est choquant.
Combien de personnes sont concernées par cette nouvelle mesure ?
On estime entre 30 et 50 les détenus par an dont il faudra évaluer la dangerosité avant leur sortie de prison. Une vingtaine d'entre eux est potentiellement concernée par cette mesure.
N'y a-t-il pas une volonté de politiser un sujet à quelques jours d'une échéance électorale ?
Cela fait des années que des rapports évoquent le problème de la récidive après la prison. Des hauts magistrats, des parlementaires de gauche comme de droite ont fait de propositions sur les criminels dangereux. Les accusations de la gauche sont caricaturales. Nous parlons de remettre en liberté des psychopathes qui constituent une menace pour la société. Il faut que chacun prenne ses responsabilités.
On vous reproche de trop privilégier les victimes et de jouer sur l'émotion...
Ce n'est pas jouer sur l'émotion que de protéger les Français des criminels les plus dangereux. La justice est le pilier de l'Etat de droit. Elle réprime et elle protège. Si on ne protège pas les victimes, les Français n'auront plus confiance dans leur justice.
La polémique sur les criminels dangereux est-elle une conséquence lointaine de l'abolition de la peine de mort ou du refus de la perpétuité réelle ?
La peine de mort est abolie depuis longtemps et il n'est pas question d'y revenir. On ne résout pas la barbarie par la barbarie. Et la rétention de sûreté, ce n'est pas un enfermement à vie. C'est la prise en charge de criminels dangereux pour qu'ils soient contraints de se soigner avant de réintégrer la société. C'est cela la lutte contre la récidive.
Certaines voix dans la majorité appellent à soutenir davantage Nicolas Sarkozy. Est-il toujours facile de le défendre, notamment quand il insulte un visiteur du Salon de l'agriculture ?
Les Français soutiennent le président et le défendent des attaques personnelles qu'il subit. Ils considèrent qu'il est le plus à même de porter les changements profonds dont la France a besoin. Il incarne le volontarisme. Ma façon de le soutenir, c'est de mettre en œuvre les réformes que les Français ont voulues en votant pour lui.. C'est ce que j'ai fait au moment de la réforme de la carte judiciaire et ce que je fais, chaque jour, sur le terrain.
Selon les sondages, c'est François Fillon qui est soutenu, pas le président.
Les Français attendent beaucoup de Nicolas Sarkozy. Ils ont peut-être eu le sentiment qu'à un certain moment, il s'est moins occupé d'eux. Mais les Français souhaitent les réformes et approuvent la politique du gouvernement de François Fillon. Tous les jours, ils me disent sur le terrain : "Réformez encore ! Allez plus vite !" C'est ce qu'ils attendent du président.
Doit-il changer ?
Il doit continuer à faire des réformes et à tenir ses engagements. Il a été élu pour cinq ans. C'est en mai 2012 qu'il sera jugé sur son action, pas au bout de neuf mois